Deux petites salles à l'urgence occupées par deux femmes. Une est jeune et souffre de détresse respiratoire, l'autre est vieille et souffre également de détresse respiratoire. La plus jeune des deux est arrivée aux urgences après la plus vieille.
Le temps passe et l'état physique de la plus âgée n'est pas évalué. Pendant le temps d'attente, la médecin de garde à l'urgence arrête un instant sur le pas de la porte de la salle de la jeune femme pour lui annoncer qu'elle n'a pas de pneumonie, mais que puisque ses signes vitaux sont anormaux, on lui administrera un médicament qui dégagera ses poumons. Dans la salle d'à côté, la femme âgée attend toujours. Le moindre respir produit un son sibilant alarmant et un gargouillis. On s'affaire dans la salle de la jeune femme.
Finalement, la médecin se présente dans la salle de la femme âgée et s'adresse à la personne qui l'accompagne. «Encore à l'urgence?» dit-elle. Devant le regard expressif de l'accompagnatrice, elle se reprend «mais non, je ne veux pas dire que vous n'avez pas le droit d'être ici»... ça augure mal.
En fait, la docteure explique que de traiter cette dame âgée représente pour elle de l'acharnement thérapeutique, et qu'il s'agit là d'une notion toute subjective. Elle ajoute que sur le plan médical, la personne qui accompagne la malade ne connaît pas tout. L'idée vient à l'accompagnatrice qu'il s'agit de la médecin qui a traité la malade il y a à peine deux semaines et qui ne connaissait pas assez bien les médicaments pour savoir qu'un des médicaments que prenait la patiente était susceptible de provoquer une déshydratation. Cette hypothèse a été avérée plus tard par le neurologue qui a ajusté la dose du médicament. Mais elle obtempère, pour tenter de ramener le débat sur l'essentiel... le bien-être de la patiente. Elle aurait pu engager l'échange sur un terrain qu'elle connaît bien en tant que juriste, mais là n'était pas la question. Il faut contenir les dégâts.
Acharnement thérapeutique, âgisme... des notions bien élastiques quand on ne prend pas le temps de bien y réfléchir et d'y réfléchir d'une façon intelligente et objective, en toute connaissance de cause.
La Commission spéciale de l'Assemblée nationale du Québec sur la question de mourir dans la dignité proposait en 2011 la définition suivante d'acharnement thérapeutique : «recours à des traitements intensifs dans le but de prolonger la vie
d'une personne malade au stade terminal, sans espoir réel d'améliorer
son état.» N'en déplaise à cette médecin, la notion d'acharnement thérapeutique n'est pas une notion subjective, il s'agit d'une notion juridique qui sert à encadrer une obligation réelle, l'obligation qu'a le soignant de prendre les moyens nécessaires pour soigner le malade.
Une pneumonie non traitée peut entraîner la mort et elle peut même être fatale lorsqu'elle est soignée. Dans tous les cas, la pneumonie est porteuse de souffrance physique. Le résultat positif du traitement est hors du contrôle du médecin et c'est pourquoi il n'est pas accablé d'une obligation de résultat. L'issue du traitement relève de ce que l'on pourrait appeler «le mystère de la vie». Pourquoi un patient survit-il, pourquoi l'autre décède-t-il? C'est une question de destin personnel.
La patiente est âgée, souffre de troubles cognitifs et dépend des autres pour les activités de la vie courante, trois éléments qui sont confrontants pour chacun d'entre nous. La médecin est jeune, elle semble tirer orgueil de son apparence physique, elle oeuvre dans le milieu de la médecine esthétique, elle publie une vidéo sur YouTube sur comment préserver l'apparence de la jeunesse... cette femme âgée vient la troubler au plus profond d'elle-même. Elle la confronte à ses craintes et ses faiblesses. On perçoit facilement que la patiente a été belle dans sa jeunesse - pas simplement jolie comme la médecin, mais franchement belle. La médecin entrevoit ici son avenir éventuel. Quant à la dépendance aux autres, pour plusieurs elle équivaut à une perte de dignité humaine. Cette vision des choses est fausse et nie la réalité fondamentale de l'existence. Sans l'Autre, nous ne naissons pas et par conséquent, nous n'existons pas. La vie se tisse de liens avec l'Autre. Sans l'Autre, nous nous trouverions dans un coma existentiel perpétuel. La dignité de l'être humain est une qualité inhérente à l'être humain. Elle peut être reconnue ou non par l'Autre, mais l'Autre ne peut pas la dérober à autrui, au risque de nier sa propre dignité humaine.
En contrepartie d'une signature apposée sur un formulaire acceptant les modalités du code d'intervention thérapeutique 2 de l'OMS (niveau palliatif réservé aux malades au stade terminal d'une maladie mortelle), la médecin prescrit l'antibiotique de rigueur lorsqu'un patient est atteint de pneumonie. Elle a accepté de faire prendre la radiographie diagnostique qui a confirmé la pneumonie. Elle renvoie la patiente à la maison sans procéder à la succion du mucus dans la gorge, sans intervention thérapeutique d'un inhalothérapeute et sans soulager la patiente de son inconfort respiratoire. Aucune évaluation n'a été faite de la capacité d'avaler de la patiente. Et voilà l'empathie dont fait preuve cette médecin à l'égard d'une malade souffrante et fragilisée par l'âge. Et voilà la reconnaissance qu'elle accorde à la dignité inhérente à tout être humain, quel qu'il soit et dans quelque partie du monde où il se trouve.
La médecin avait eu vent d'un commentaire qu'avait fait l'accompagnatrice sur l'exhaustivité de l'enquête clinique sur les causes de la déshydratation de la patiente quelques semaines auparavant. Après avoir écarté l'insuffisance rénale, le manque d'absorption de fluides permettant une bonne hydratation et l'absence d'infection, la cause médicamenteuse n'avait pas été évaluée. Elle s'était objectée auprès de l'accompagnatrice, s'exclamant qu'elle prenait mal qu'on puisse critiquer la qualité des soins qu'elle prodigue, puis elle s'était esquivée à son poste de travail pour pleurer. Larmes de crocodile? Les médecins urgentologues sont soumis à un stress incroyable, ils sont confrontés à des décisions difficiles qu'ils doivent prendre en toute vitesse souvent lorsqu'ils sont physiquement épuisés. Ils doivent posséder des connaissances pointues sur une multitude d'aspects du fonctionnement du corps humain. N'est-ce pas déraisonnable de s'attendre d'eux qu'en plus, ils soient mis dans une position où, sans formation universitaire appropriée en matière éthique ils se voient mis dans l'obligation de prendre des décisions ayant une portée directe sur l'existence ou la mort d'autrui? Ce stress incroyable mène sans aucun doute à la perte de decorum professionnel que constitue la crise de larmes lorsqu'on est en fonction d'autorité aux urgences d'un hôpital.
Renvoyer une personne malade âgée sans soulager ses symptômes ni assurer son confort, surtout lorsqu'elle est mise sous soins palliatifs, soins visant à assurer le confort du patient, n'équivaut pas à donner un soin de qualité. Une fois son intervention terminée, la médecin n'a pas fait le nécessaire pour assurer le suivi de la patiente par les services infirmiers des soins palliatifs. Elle s'est bornée d'adresser un léger sourire victorieux à l'accompagnatrice.
Hippocrate aurait été fier de sa prestation.
samedi 16 mars 2013
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1 commentaire:
Je connais le système de santé au Québec...et je n'ai pas de bon commentaires à son égard.
Bon courage dans l'accompagnement de ta maman.
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